La bière trouve sa place en étoilé

Un moment de dégustation divine et audacieuse au sein du Chapeau Rouge, restaurant dont la gastronomie est délicieusement menée par le chef doublement étoilé William Frachot. A ses côtés, Maxime Brunet, un sommelier qui challenge toutes les idées reçues en proposant des accords délicats et déroutants.

Arrivés et confortablement installés avec une belle coupe de Champagne, on nous tend LA bible du vin; un épais classeur qui liste les merveilles de la cave de ce restaurant. Pour autant, prise d’une envie de légèreté - après tout il n’était que 13h - je demande à Maxime de me guider plutôt sur de la bière.


Autant dire que l’envie de sagesse et de retenue a rapidement cédé à un lâcher-prise complet, un tourbillon d’allégresse et d’insouciance pour une dégustation gargantuesque et culottée de trois heures face à la proposition offerte.

Après tout, on était vendredi…

Sur l’amuse-bouche composé de céleri, une petite bouteille d’Ammonite, Cuvée Composition de 2020 vieillie en fût de Beaune.  La rondeur boisée et vineuse est venue parfaitement souligner le jus de cuisson du céleri, dont les notes terreuses sont à leur tour tranchées par les touches acides de la bière.

 

Place ensuite à l’entrée qui se compose d’une déclinaison très douce et gourmande de betterave, en cru, en cuit, en crème, en émulsion et en vinaigre avec également des pointes de vinaigre de Chardonnay. Celle-ci nous est proposée avec une Rosée de Gambrinus de Cantillon ; un accord qui va de soit avec les framboises qui font écho à la betterave. Comme pour l’Ammonite, le côté acidulé relève ce plat qui pourrait presque être trop doux, et sublime les touches de Chardonnay du vinaigre. Tout y est précisément mesuré pour un accord parfait.

Une assiette gourmande et tellement graphique ! Les couleurs appétissantes m’ayant fait beaucoup trop de l’oeil, je n’ai pas résister à l’appel du sauçage d’assiette…
Oui, c’est mal… Mais j’en suis même pas désolée.

Avec le plat nous arrive une belle claque : c’est tout simplement une canette de Potion Magique, l’IPA de 90 BPM, qui nous est servie en accord avec de l’omble de fontaine et sa compotée de chou. La canette (tout comme les bouteilles l’ayant précédé) est apportée et servie bien en amont afin de laisser les arômes s’exhumer et se peaufiner dans le verre. L’amertume du houblon cède à son aromatique pour une première gorgée plus équilibrée. Cette technique permet également de casser la bulle, parfois trop agressive pour un accord avec de la nourriture aussi fine.

Sur l’omble, l’amertume de la Potion aurait presque pu être trop dominante, mais les réductions fumées et le chou également très puissant ont relevé le défi. C’est une réussite sur tous les tableaux et un délice à chaque bouchée.

Pour clore le spectacle : un dessert régressivement gourmand de chocolat de Papouasie et Nouvelle Guinée, cardamome noire, caramel et sorbet à la faisselle (proposé en accord avec un cocktail à base de gin et de cassis de la région !)
Sous un dressage fin et délicat semblable à une millefeuille, ce dessert cache bien son jeu pour révéler un cacao intense et amer ainsi qu’une richesse crémeuse et craquante en bouche.

Maxime nous a généreusement donné un peu de son temps pour parler de sa démarche et de l’élaboration de sa carte bière.

En effet, parti pris extrêmement déroutant pour ce sommelier d’un deux étoiles Michelin situé au cœur de la région vinicole de la Bourgogne, et pourtant il porte ses fruits ! Depuis neuf ans qu’il travaille au Chapeau Rouge, la carte du restaurant a suivi les traces et l’apprentissage de Maxime dans le monde de la bière à commencer par la mise en place de quelques bières locales telles que la BAB (Brasserie Artisanale de Bourgogne).

Passionné par cet univers et par les accords qui peuvent en dérouler, il prend rapidement quelques risques en introduisant des gueuzes ou autres fermentations spontanées en accord avec son plat végétal. Servies en verres noirs, celles-ci sont très vite acceptées par des gourmets surpris mais ravis. Il se souvient notamment de son premier accord avec une cuvée spéciale de fermentation en fût de pinot de Sextant.

Maxime se familiarise de plus en plus avec les fermentations spontanées de chez Cantillon, Boon, 3 Fonteinen, Tilquin. Il joue avec les accords et les vieillissement dans ses menus de dégustation pour emmener les clients avec lui dans sa découverte. Petit à petit, il teste d’autres styles grâce à la confiance et la liberté que lui accorde le chef William Frachot, également un grand amateur de mousses.


Et puis en 2021, l’arrivée d’une jeune brasserie sur la scène brassicole Dijonnaise va faire passer un cap : la mise à la carte d’une bière en canette sur une carte de restaurant étoilé. Ayant découvert la gamme de 90BPM, il opte tout d’abord pour la Arlette à Malibu, une bière brassée en collaboration avec une autre brasserie locale, Elixkir. Cette sour IPA à la vanille et à l’hibiscus est ainsi proposée en accord avec un dessert composé de soufflé au pain d’épices, figues et réduction de vin rouge. Les notes acidulées viennent ainsi alléger un dessert assez riche, tandis que la douceur de la vanille et de l’hibiscus complémente les épices et la rondeur de la figue.

Pour ce qui est de la potion magique (une New England IPA au Citra, Mosaic et Simcoe), Maxime aime la proposer pour son amertume très ronde et fruitée. L’avoine l’adoucit assez pour accompagner un plat – même un plat assez riche – relevé par l’amertume du houblon.

Des objections à la canette ? « Si tu proposes pas, tu sauras jamais »

Proposée en accord et avec l’accompagnement d’un palais expérimenté, la barrière de la canette se dissout. « Carafée » comme un bon vin, servie avec une maîtrise du produit, la bière n’en est que plus savoureuse et peut emmener un palais encore plus loin sur des accords et des découvertes gustatives. L’accord peut également être proposé en dégustation à l’aveugle pour ne pas influencer le client ; la dégustation n’en devient que plus active et engagée, parfois même ludique avec un café offert si ce dernier y devine de la bière !

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