Ammonite: une bière de Terroir

Cela faisait quelques années que j’avais découvert les pépites de chez Ammonite, et que je suivais de loin cette brasserie. Intriguée par la démarche et la philosophie de la « Vinification du malt », j’ai enfin pu rendre visite à Simon, le génie et l’artiste derrière ces créations.

C’est dans la grange de son jardin que toute la magie s’opère. Avec des rangées de tonneaux marqués de craie, de la bière repose et fermente tranquillement avec des fruits, s’imprégnant de toutes les bactéries et donc de tout le bonheur que peut offrir le bois de ces barriques ayant contenu pour certains du vin, d’autres du Xeres, ou encore du cidre.

Simon brasse une bière « neutre » avec de l’orge bio du Jura non traité et des cônes de houblons cueillis à moins de 60km. Ce houblon sauvage est rajouté sans ébullition afin qu’il puisse conférer ses huiles aromatiques de façon naturelle, sans précipiter l’isomérisation des acides ou transformer le produit en lui donnant de l’amertume ou des faux goûts. L’idée est d’avoir un produit non traité, chauffé en mono palier à basse température.

Il brasse ainsi de Septembre à Mars, puis goûte la barrique pour venir compléter sa Solera. En fonction des fûts et des brassins, il choisit également ses assemblages : les acidités faibles seront travaillées avec des fruits tandis que les brassins à l’acidité marquée seront tirés en tonneau pour être travaillé en single cask.

Un fût de Pedro Ximenez de près d’un siècle.
Simon nous a fait l’honneur de goûter un fond du Ximenez qu’il contenait. Les mots me manquent pour décrire la gourmandise et la puissance de cette boisson.

Cette bière vieillie un an est la base pour toutes les créations d’Ammonite. Simon prend le temps ensuite de sélectionner les fruits qui vont y fermenter. Il travaille pour cela avec un verger de conservatoire : le Domaine des Martinelles de Thomas Fayolle. Il y choisit lui-même ses pieds de framboises, de cassis, d’abricots ou encore de cerises en goûtant et sélectionnant ce qui selon lui aura le plus de potentiel aromatique pour sublimer son terroir. Il procède ainsi à des marquages avec des greffes de bois pour créer son propre verger, pour le moment composé de cassis, d’abricots, de framboises et de groseilles.

Ils nous a ainsi fait goûté ses quelques barriques en fermentation : une Vendange Abricot, une cassis enfûtée il y a une semaine, une groseille de trois semaines… un vrai feu d’artifice pour les papilles.

Ces fruits entiers sont placés dans des tonneaux saturés de CO2. Une fois de plus, Simon refuse de travailler le fruit ; par exemple le raisin non pressé permet une macération carbonique grâce aux enzymes contenus entre le jus du fruit et sa peau. De plus les rafles de fruits contiennent des sels minéraux et des tannins et servent à les drainer.

Une fois les levures prêtes, il y ajoute sa bière et procède à l’extraction du fruit par rotation du tonneau. Cette rotation est effectuée une fois par jour en début d’extraction avant de passer à une fois par semaine environ.

D’ailleurs Simon nous avoue que c’est bien pour ses petits bébés et l’attention constante qu’ils requièrent qu’il n’est pas parti en vacances depuis près de 3 ans.

Nous avons pu goûter des fermentations sur Sauvignon, Pinot Gris, Pinot Noir, ou encore une incroyable fermentation en fût ayant contenu du cidre ; l’impression de croquer dans une Granny Smith fraîche !

Pour la fermentation, une fois de plus Simon s’en remet à la nature et observe les lunes. Il m’explique ainsi que lorsque la lune monte, les liquides se distandent et deviennent propices à une fermentation spontanée et indigène. Ceci implique un départ en fermentation plus rapide et plus sain. A contrario, pendant la queue de lune, les liquides se contractent, sont plus concentrés avec moins d’oxygène, favorisant la concentration d’arômes. Ce moment est idéal pour la mise en fût.

Simon travaille sans pompe et tire ses fûts de façon gravitaire ou avec du gaz. Il insiste sur le fait qu’il n’ajoute aucune levure et que contrairement aux idées reçues, il n’effectue aucun travail sur la Brett.

Autre projet : ses fûts de collaboration. Deux fois par an, Simon contacte deux artistes et leur demande de choisir chacun un fût particulier (vieillissement en fût de calvados, de pedro gimenez, olorosso…). Il assemble ensuite 30% de chaque fût avec 30% de sa bière de base. Les artistes collaborent ensuite pour créer les étiquettes pour une bière de colaboration artistique : 3 fûts, 3 sérigraphies, 3 artistes.

Tout ce beau travail exige énormément de temps et de patience. Simon a « produit » son premier tonneau en 2016. Sa première bouteille est sortie en 2018 et sa première commercialisation n’a eu lieu qu’en 2019. Trois ans d’attente pour perfectionner sa technique et laisser le terroir s’exprimer pour produire un tout nouveau style de bière, que l’on pourrait qualifier de style de terroir français.

“Tu n’es plus la même personne quand tu entres et quand tu sors de cette grange.”

Quand j’ai partagé mon expérience, quelqu’un m’a dit : “Tu n’es plus la même personne quand tu entres et quand tu sors de cette grange.” Je dois admettre que l’expérience est édifiante: j’y ai appris et goûté des choses incroyables qui sont le pur produit de la nature, toutes aussi délicieuses que surprenantes. Simon est un artiste doté d’une grande patience et d’une vision qu’il souhaite partager et cela se ressent. Sa passion se communique dans ses bouteilles et dans sa convivialité.

Le temps semble s’arrêter dans cette petite grange où ses créations œuvrent pour devenir de vrais tableaux de leur terroir.

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